L’impression 3D

L’impression 3D : vraie ou fausse bonne idée pour l’optique ?

Prometteuse en termes de design et d’ultra-personnalisation, l’impression 3D ou fabrication additive
apparaît comme un nouvel Eldorado que l’industrie lunetière commence à explorer avec sérieux.
Focus sur une technologie d’avenir déjà mise au présent…

La filière optique connaît de profondes mutations et pourrait bien compter sur un nouvel intervenant : l’impression 3D.

Apparue il y a une trentaine d’années comme nous vous l’indiquions dans notre numéro de septembre (Bien Vu n°214, P16-17), la fabrication «additive» (ainsi baptisée en référence à la méthode de production par empilement de couches de matières) rencontre un bruyant succès depuis près de cinq ans, sous l’appellation plus vendeuse d’«impression 3D». En optique, la fabrication additive offre aux designers, notamment, toute une palette de possibilités en termes de design et de forme. Les premières tentatives ont d’ailleurs déjà fleuri ici et là, à l’instar de Mykita avec sa collection Mylon ou encore Hoet et sa collection Hoet Couture en titane conçue par impression laser 3D… Mais que peut-on réellement attendre de l’impression 3D dans notre filière ?

Lunettes impression 3D

© Droits réservés

Pratique pour les prototypes

En matière de prototypage, l’impression 3D pourrait sans nul doute être une solution d’avenir en optique, étant donnés le faible coût et la rapidité de réalisation de la maquette. Cyril Vue, pdg d’Erpro, une société spécialisée dans le prototypage rapide, nous indique que son entreprise a «déjà travaillé avec des lunetiers, mais uniquement pour faire des prototypes, notamment pour Cartier».

Mais d’autres initiatives ont depuis vu le jour, en particulier chez Lissac qui propose depuis un an un service de lunettes sur-mesure baptisé la «Mezzanine». Grâce à l’impression 3D, l’enseigne propose en effet un prototype (voir encadré) qui pourra servir au client à «valider la fonctionnalité des mesures et la taille de la monture par rapport aux spécificités de son visage, avant la réalisation des lunettes finales», détaille Marc Klein, directeur d’enseigne de Lissac.

Lunettes Lissac

© Lissac

Pour le pdg d’Erpro : «Cela fait déjà dix ans que l’impression 3D sert dans l’industrie à concevoir des prototypes». Il estime toutefois que la fabrication de produits finis est loin d’être acquise. Trop complexe, trop long, matériaux peu qualitatifs et fragiles (même si 200 matériaux différents peuvent être utilisés à l’heure actuelle, voir notre encadré), «cela reste trop coûteux pour imaginer une utilisation industrielle», juge-t-il.

Vers une industrialisation en optique
 

Pour lui, la principale limite de cette méthode de fabrication demeure le temps de production et donc, le coût de production. Cette conclusion n’est pourtant pas partagée par tous, à commencer par l’entreprise française, Sculpteo, l’une des premières à s’être lancée dans l’impression 3D à la demande. Son pdg, Clément Moreau, vise un développement de cette technologie pour faire de la production industrielle. Selon lui, «le problème principal réside dans la qualité finale des plastiques (polyamide) qui sont encore trop granuleux pour pouvoir être correctement colorés et avoir un toucher agréable sans traitement supplémentaire à la main.»

Preuve de son optimisme, il nous révèle, sans le citer nommément pour des raisons de confidentialité, que son entreprise travaille actuellement avec un grand fabricant de lunettes, pour lequel il ambitionne de produire industriellement des montures pour un prix avoisinant les 60 euros l’unité (coût de production). Clément Moreau juge donc possible, d’ici un an, d’industrialiser la production de produits finis en optique par impression 3D.

Reste à résoudre le problème de la matière première qui, en plus des questions de coloration et de finition, crée des difficultés dans la pose des verres ou la formation des branches en fonction de la morphologie du porteur. En effet, le plastique perd toute forme lorsqu’il est chauffé et qu’il atteint son point de malléabilité.

Les projets de lunettes imprimées en 3D en cours
 

Malgré toutes ces difficultés encore à surmonter, certains entrepreneurs ont tenté l’expérience pour vendre des lunettes imprimées en 3D à l’instar de la jeune société allemande Framelapp (lire p. 51), qui passe par un réseau d’opticiens, ou de Protos Eyewear, petite entreprise américaine basée en Californie et ayant pour projet de proposer rien de moins qu’une révolution du monde de l’optique. Comment ? En permettant aux porteurs de façonner directement leur monture à partir d’un fichier 3D. Ici, le principe est justement de ne pas faire dans l’industriel, mais au contraire d’individualiser et personnaliser la production.

D’autres encore misent sur des matériaux différents, à l’image de la société suisse Eichenberger Futuretech qui fabrique des prototypes et des produits finis en divers métaux (acier, titane, or 18 carats…). Plutôt que de parler d’impression additive, on parlera davantage de «Frittage Sélectif par Laser» (SLS). Là encore, pas de production industrielle, mais comme nous le précise Juan Franco, le directeur général d’Eichenberger Futuretech, sa société a déjà produit «des montures, mais seulement des pièces uniques». Le résultat est largement à la hauteur des espérances, mais demeure encore très coûteux (autour de 1 000 euros pour une monture, mais selon le métal utilisé, le prix augmente…),réservant ces pièces uniques aux porteurs fortunés, capables de débourser jusqu’à 2 000 euros pour une monture. Points positifs toutefois : possibilité de co-design ou d’ultra-personnalisation et lunettes garanties à vie, dans la mesure où le schéma en trois dimensions de la monture est un fichier numérique réutilisable…

Hoet, en partenariat avec Melotte, s’estégalement appuyé sur cette technique de frittage sélectif pour produire la collection Hoet Couture en titane. Au-delà d’un design irréalisable autrement, les avantages sont multiples, les montures ainsi produites étant inoxydables, antiallergiques et écologiques. Pour l’heure, seuls deux modèles (un pour homme et un pour femme) sont disponibles en différentes combinaisons de tailles (nez et verres). Mykita de son côté est allée un peu plus loin avec sa gamme de lunettes (solaires et optiques) baptisée Mykita Mylon, du nom du matériau breveté à base de polyamide que la marque a développé spécifiquement pour remplacer l’acétate. Résultat : une collection riche d’une dizaine de modèles différents et déjà une cinquantaine d’opticiens intéressés pour distribuer ces montures en France.

Le grand soir de l’impression 3D n’est donc pas encore à portée de vue, mais cela ne saurait tarder. Pour les défenseurs de cette technologie, les machines devraient continuer de baisser de prix, tout en augmentant leur cadence de fabrication et leur niveau de précision, ce qui ne pourra que les rendre plus concurrentielles visà- vis d’autres procédés industriels de production. Selon Nathan Garnett, organisateur du salon optique «100% Optical Show» en Angleterre, «c’est une grande partie de l’industrie lunetière qui va suivre le mouvement ».

Il en est d’ailleurs si convaincu, qu’il a souhaité lancer un grand débat sur cette technologie les 16, 17 et 18 février prochains à Londres, en plus d’ateliers de découverte de l’impression 3D. Sera ainsi présent pour partager son expérience, James Taylor-Short, le premier opticien anglais ayant installé dans son magasin une imprimante 3D. Il s’agira bien de «débattre» lors de ce salon, la fabrication additive n’ayant pas que de bons côtés, en particulier concernant la contrefaçon. Tout un chacun peut en effet déjà imprimer une monture en allant sur les sites Internet Thingiverse ou Shapeways pour télécharger des fichiers 3D de lunettes gratuitement.

 


 

Les matières premières
Il existe une multitude de possibilités, en fonction du type d’imprimante employée et de l’objet à créer. Il y a en fait deux grandes familles de matières premières : les plastiques et les métaux. A quoi il faut désormais ajouter les céramiques (silice, alumine, alumide, plâtre…) et les matières organiques (cires calcinables, tissus et cellules).

  • Parmi les plastiques utilisés, trois sont dominants : le PLA, l’ABS et le PVA qui sont tous des polymères et des thermoplastiques devenant mous et malléables lorsqu’ils sont chauffés et qui reviennent à un état solide en refroidissant. Un dernier polymère connait un franc succès : le polyamide. La poudre de polyamide sert dans l’impression de prototypes en plastique blanc par frittage laser. Elle offre un grand niveau de détail et donne aux pièces un aspect sableux, granuleux et légèrement poreux.
  • Parmi les métaux, l’acier, le titane, l’argent massif tout comme d’autres matériaux précieux (l’or ou le platine) peuvent être utilisés en fabrication additive grâce à une machine réalisant un «Frittage Sélectif par Laser» (SLS). Le rendu est parfait, la solidité excellente, mais le procédé demeure long et coûteux.
  • Enfin les résines peuvent être thermoplastiques ou thermodurcissables (polymérisation) et constituent le matériau de base de plusieurs techniques comme la stéréolithographie (SLA) et le PolyJet. La résine est un polymère liquide photosensible. L’impression avec ce matériau consiste donc en un dépôt successif de couches immédiatement solidifiées par lumière UV. De part la qualité du rendu, les résines servent surtout à produire des prototypes.
Lunettes Hoet

© Hoet Couture

Marché de l’impression 3D : 8 milliards d’euros en 2024

En chiffres, le marché de produits et services d’impression 3D au niveau mondial a été multiplié par deux en quelques années, passant de 809 millions d’euros en 2007 à 1,62 milliards l’an passé (source : Cabinet Wohlers Associates). Il pourrait atteindre jusqu’à 8 milliards d’euros d’ici dix ans.
Cette croissance de plus de 20% par an s’explique principalement par deux phénomènes : la baisse de prix des imprimantes (autour de 2 000 euros pour une version «low cost» grand public) d’une part, et d’autre part, la progression technique des imprimantes professionnelles.

Source : www.mesnouvelleslunettes.fr